La semaine dernière, les Becs fins étaient en vacances. Nous nous étions retirés dans les bois, à l’écart de toute civilisation et parfaitement à l’abri des ondes hertziennes. Là, nous avons lu des livres, fait du canot, observé des animaux sauvages et concocté des petits mets de camping, tels le hot-dog et la soupe en boîte. Lorsque nous sommes revenus en ville vendredi dernier, nous empestions encore le feu de camp, nous étions tatoués de piqûres de maringouins et j’avais une barbe de quelques jours. Nous nous sommes frayés un chemin dans le trafic jusqu’à la maison et, en voyant tout ce monde, en entendant tout ce bruit, en respirant cette pollution, nous avons certes eu envie de faire demi-tour, de retourner dans le Nord, d'abandonner notre vie et nos obligations, et de renouer avec ces racines sauvages qui habitent tout Québécois, oui, nous avons passé à deux doigts de fuir la ville et partir vivre pour de bon dans les bois, y vivre comme des êtres primitifs, à nous nourrir de hot-dogs et de soupes en boîte. Mais, bien sûr, il y a cette hypothèque à payer et ces trucs à terminer au bureau, et les amis, et les plaisirs de la vie en ville, et notre blogue, bien sûr, car en effet, de quoi parlerions-nous dans notre blogue si nous redevenions des êtres primitifs, de hot-dogs et de soupes en boîte, peut-être?
À peine étions-nous rentrés que, rattrapant le fil de l’Internet, nous découvrions que Twitter avait généré un buzz dans le petit monde des gastronomes amateurs (foudizes) québécois. Tout semble avoir commencé par deux articles de Nathalie Collard dans son blogue du journal La Presse (ici et là), à propos de l’ouverture du restaurant Laurier BBQ (pardons : le Laurier Gordon Ramsay), puis d’un article de Gina Desjardins dans le blogue Triplex de Radio-Canada, le tout suivi d’un déluge de retouittage. En gros, on dénonçait le fait que des blogueurs, achetés par des invitations et des cadeaux d’entreprises privées, perdraient tout sens éthique et touitteraient et blogueraient et facebouqueraient à qui mieux-mieux tout le bien qu’ils pensent des entreprises privées en question (et leurs produits) en oubliant de mentionner qu’ils avaient accepté une faveur. Le résultat serait ni plus ni moins que de la pub déguisée dont les blogueurs (et touitteurs) seraient les complices. Exemple : lorsqu’un blogueur se fait inviter par le propriétaire d’un grand resto et qu’il touitte en direct à quel point le foie gras poêlé ou les gnocchis aux truffes sont délectables sans dire qu’il ne paye pas l’addition, il fait preuve d’un manque d’éthique flagrant.
À lire cela, notre première réaction fut la surprise. Y a-t-il réellement des blogueurs qui se font inviter dans les grands restos (voire une rôtisserie) sur le bras du patron? Ciel! A-t-on manqué un épisode? Je tiens à rappeler aux propriétaires de grands restos que pour les invitations, notre adresse de courriel se trouve sous l’onglet À propos du présent blogue!
Plus sérieusement, nous sommes évidemment tout à fait d’accord avec l’opinion de Mme Collard. Profiter d’une plogue, s'en faire l’apôtre et ne pas mettre les choses en contexte, c’est franchement poche. Chez les Becs fins, nous croyons qu’être blogueur nous donne justement l’indépendance d’exprimer nos opinions et de partager notre passion de la bonne bouffe sans devoir rien à personne. D’ailleurs, il suffit de cliquer sur l’onglet À propos de notre blogue pour y lire notre ligne de conduite : notre blogue est « totalement indépendant et libre » et, ajoutons-nous : « Nous sommes de vrais humains et ne sommes pas affiliés à une entreprise, à un groupe agroalimentaire ou à une marque. » De toute façon, nous sommes bien trop insignifiants et, comme le diraient les gestionnaires de contenu, notre cercle d’influence est bien trop petit, ce qui fait qu’aucune entreprise ne nous a jamais sollicités. Tant mieux pour nous. Et gare à celles qui le feront : qui sait, notre objectivité/subjectivité pourrait, sans égard aux faveurs obtenues, nous faire mordre la main qui nous nourrit!
Quant au Laurier Gordon Ramsay, je dirai simplement qu’a priori, l’art du poulet barbecue ne me semble pas mériter qu’on y accole une quelconque aura gastronomique (svp, ne me partez pas sur la poutine et les mets de cantines revisités!). Je comprends que Monsieur Chose aime sauver les restaurants traditionnels, mais la réouverture du Laurier ne me dit rien de plus que si on lançait, mettons, le restaurant La Paryse Martha Stewart (ceci dit sans manquer de respect à la très respectable institution du hamburger qu’est la Paryse).
Bref, soyez rassurés : ici, aux Becs fins, nous continuerons à dire ce que nous pensons, à être broche à foin, à être nous-mêmes, à vous faire part de nos coups de cœur en toute subjectivité et à jouer parfois les ronchons. Car chez les Becs fins, malgré nos tics, nous nous targuons d’avoir l'éthique, à défaut d’avoir la toque!
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lundi 15 août 2011
Des tics et des blogueurs
dimanche 5 juin 2011
Je ne bois pas la vie en rose (sur un air connu)
Il y a de ces débats complètement stériles qui visent à déterminer par des arguments objectifs la supériorité d’une chose sur une autre, alors que celles-ci ne s’opposent nullement et qu’il n’y a tout simplement pas de choix à faire entre elles. Ainsi, il n’est pas rare pendant un repas entre amis d’entendre quelqu’un lancer que « en général, c’est bien entendu, le vin rouge est bien meilleur que le blanc ». À chaque fois que j’entends ce genre d’ineptie, je me demande pourquoi diable il faudrait choisir entre rouge et blanc. Pourquoi ne pas apprécier les deux? Il n’y a rien comme la variété; il se trouve qu’il y a des vins intéressants de tous les prix tant en blanc qu’en rouge. Et il existe de grands vins blancs comme il existe de grands vins rouges.
Tout ceci étant dit, cette théorie de la relativité ne s’applique pas au vin rosé. Parce que le rosé, objectivement, ce n’est pas très bon.
À chaque année, je me fais prendre à acheter une bouteille de rosé, victime du marketing et de l’exaltation qui nous gagne naturellement lorsque la saison chaude revient. Ainsi, ce week-end ai-je aléatoirement fait l’achat compulsif d’une bouteille du vin de pays d’Oc C’est la vie! Syrah rosé, 2009, sans doute leurré par le prix spécial affiché à la SAQ (prix régulier 13,70$ en spécial à 12,35$). De retour à la maison, apéro, soleil, week-end, la vie est belle (je dis ça pour vous faire croire que je ne suis pas qu’un mononcle ronchon). Je goûte et je note. Dans le verre, le vin montre une jolie robe rose-orangé. On croit percevoir un nez très discret de fruits rouges. En bouche, à part la sensation de froid, on n’a droit qu’à une légère acidité et un fruité, disons, évanescent. En fait, ce vin serait presque insipide, si ce n’était de cette forte amertume en arrière-goût, persistante et loin d’être agréable. « Fruité et léger » disait la stupide pastille de goût SAQ. Léger, d’accord. Fruité, très peu, merci. Y a-t-il une pastille de goût pour « jus de fruit dilué avec un fort arrière-goût vineux » ? Dans le cas de ce vin, me suis-je dit, la modération a effectivement bien meilleur goût.
À chaque année, je me dis qu’on ne m’y reprendra plus. Vous voulez boire léger parce que c’est l’été et que c’est l’heure de l’apéro? Pour le même prix, combiens de sympathiques blancs pourriez-vous goûter en lieu et place de ces rosés insipides! La plupart des rosés me semblent tout simplement trop chers pour ce qu’ils offrent. Faites-vous plaisir : pour 1 ou 2$ de plus, optez donc par exemple pour un chardonnay d’Afrique du Sud ou un petit vin alsacien d’entrée de gamme, qui fera des merveilles à l’apéro? Les chroniqueurs en vin ont toujours de bons mots pour le rosé, nous recommandant de le servir bien froid, le décrivant comme un vin de soif, rafraîchissant, etc. À ce compte, pourquoi ne pas vous ouvrir une bonne bière, tout aussi rafraîchissante, qui vous soulera moins, qui aura du goût et une bonne amertume, par exemple, l’excellente et délicieusement amère St-Ambroise blonde de la brasserie McAuslan ou une rafraîchissante bière blanche de n’importe quelle micro-brasserie québécoise?
J’admets que le vin rosé a son rôle à jouer dans l’univers œnologique. Dans le sud de la France, on peut s’acheter en vrac chez le vigneron un petit rosé à 1 euro le litre. Dans ce contexte, je comprends très bien qu’on s’en tape quelques verres à l’apéro sur la terrasse, entre amis. Mais le Québec n’est pas la Provence. Le modèle de tarification de la SAQ fait en sorte que ces vins modestes et bons marché deviennent non compétitifs une fois sur les tablettes des succursales de notre monopole favori. À 13$ la bouteille, il n’y a plus aucune raison d’acheter ces vins rosés, sauf peut-être pour l’effet assez joli d’un liquide rose et transparent dans une coupe.
Mais pour ça, on peut toujours se préparer un kir, n’est-ce pas?
lundi 11 avril 2011
Émission Guide restos Voir
Le principe de base de cette émission du canal Évasion est fort simple : chaque semaine, l'animatrice Anne-Marie Withenshaw convie son invité, une figure connue du grand public, à prendre tous les repas d'une même journée dans trois restaurants différents, le but étant de nous amener à faire de belles découvertes gastronomiques. L'idée de départ donc est fort sympathique.
Là où je décroche, c'est lorsque l'animatrice et l'invité s'extasient devant les petites attentions spéciales, les grands vins et le service exceptionnel auxquels ils ont droit, poussant même l'audace jusqu'à donner une cote au restaurant à la fin du repas... Euh, quelle est exactement la pertinence de cette soi-disant évaluation ? En effet, il m'apparaît plus qu'évident que la présence d'une caméra et d'une personnalité connue insuffle dans la cuisine une frénésie supplémentaire ayant pour objectif de hausser la qualité et le service d'une coche ou, à tout le moins, de s'assurer que tout soit plus que parfait. Pas sûr que Mme Tartampion a droit au même traitement, grand(s) vin(s) offert(s) à titre gracieux par la maison, visite du chef qui vient présenter les plats et tutti quanti.
Loin de moi l'idée de prétendre que les restaurants visités dans le cadre de l'émission offrent un moins bon service à Monsieur et Madame Tout-le-monde, mais il me semble évident que l'effet "kodak" joue un rôle non négligeable dans le déroulement de l'expérience et que celle-ci est donc fortement biaisée. Dans ce contexte d'univers parallèle difficilement accessible à nous pauvres anonymes, il convient donc de prendre les commentaires et, surtout, l'évaluation de l'animatrice et de son invité avec un (gros) grain de (gros) sel.
Nonobstant ce bémol, cette émission constitue une vitrine intéressante sur ce qu'un resto a à offrir de meilleur et ce, qu'on puisse ou non jouir d'un traitement de faveur...
Là où je décroche, c'est lorsque l'animatrice et l'invité s'extasient devant les petites attentions spéciales, les grands vins et le service exceptionnel auxquels ils ont droit, poussant même l'audace jusqu'à donner une cote au restaurant à la fin du repas... Euh, quelle est exactement la pertinence de cette soi-disant évaluation ? En effet, il m'apparaît plus qu'évident que la présence d'une caméra et d'une personnalité connue insuffle dans la cuisine une frénésie supplémentaire ayant pour objectif de hausser la qualité et le service d'une coche ou, à tout le moins, de s'assurer que tout soit plus que parfait. Pas sûr que Mme Tartampion a droit au même traitement, grand(s) vin(s) offert(s) à titre gracieux par la maison, visite du chef qui vient présenter les plats et tutti quanti.
Loin de moi l'idée de prétendre que les restaurants visités dans le cadre de l'émission offrent un moins bon service à Monsieur et Madame Tout-le-monde, mais il me semble évident que l'effet "kodak" joue un rôle non négligeable dans le déroulement de l'expérience et que celle-ci est donc fortement biaisée. Dans ce contexte d'univers parallèle difficilement accessible à nous pauvres anonymes, il convient donc de prendre les commentaires et, surtout, l'évaluation de l'animatrice et de son invité avec un (gros) grain de (gros) sel.
Nonobstant ce bémol, cette émission constitue une vitrine intéressante sur ce qu'un resto a à offrir de meilleur et ce, qu'on puisse ou non jouir d'un traitement de faveur...
lundi 28 juin 2010
Pourquoi pas des hot-dogs au foie gras, tant qu'à y être?
Misère. Encore de la poutine revisitée. Vous ne pourrez pas dire que c'est moi qui invente: ce gros panneau publicitaire est tout ce qu'il y a de plus réel, coin Mont-Royal et St-Laurent!
lundi 14 juin 2010
Poutine : la blague a assez duré!
Dans un récent message sur Twitter, Martha Stewart, la papesse du bon (?) goût des banlieusardes américaines, alors en visite au Québec, écrivait : « Eating poutine in the laurentians. French fires,string cheese and brown gravy???what’s the attraction? » (Son message original est par ici).
Nooooooon! Pas encore la poutine!
Ce n’est pas que je porte personnellement quelque importance à l’opinion de madame Stewart, mais voyez-vous, cette dame est présentement suivie sur Twitter par 1 940 815 lecteurs. Ce sont malheureusement presque deux millions de personnes de plus qui feront l’équation :
Ne trouvez-vous pas comme moi que la blague a assez duré? Il est grand temps que cesse la promotion de ce mets de cantine qui ne mérite guère plus de publicité que la guédille ou les onion rings. Passons à autre chose, je vous en prie!
J’ai déjà dit tout le mal que je pense de la poutine dans ce blogue (pour ceux qui aurait manqué l’article, c’est par ici). Vous me taxerez de snobinard si ça vous chante, mais je crois que la réputation gastronomique du Québec est en jeu. Voici donc mon plan. Cessons tous en même temps de manger de la poutine, cessons de la revisiter, cessons de l’anoblir, cessons d’en parler, faisons comme si cette chose abjecte n’avait jamais existé et alors peut-être les cantines et les restaurants, voyant que la chose ne se vend plus, cesseront-ils d’en servir. Ça prendra cinq, dix ou quinze ans, mais peut-être réussira-t-on à nettoyer le paysage culinaire québécois de cette horreur.
Il m’est permis de rêver qu’un jour, l’étranger de passage dans nos contrées, curieux de découvrir notre gastronomie, se fera un devoir de goûter autre chose qu’encore et toujours cette satanée poutine.
Nooooooon! Pas encore la poutine!
Ce n’est pas que je porte personnellement quelque importance à l’opinion de madame Stewart, mais voyez-vous, cette dame est présentement suivie sur Twitter par 1 940 815 lecteurs. Ce sont malheureusement presque deux millions de personnes de plus qui feront l’équation :
Québec + cuisine = poutine
Ne trouvez-vous pas comme moi que la blague a assez duré? Il est grand temps que cesse la promotion de ce mets de cantine qui ne mérite guère plus de publicité que la guédille ou les onion rings. Passons à autre chose, je vous en prie!
J’ai déjà dit tout le mal que je pense de la poutine dans ce blogue (pour ceux qui aurait manqué l’article, c’est par ici). Vous me taxerez de snobinard si ça vous chante, mais je crois que la réputation gastronomique du Québec est en jeu. Voici donc mon plan. Cessons tous en même temps de manger de la poutine, cessons de la revisiter, cessons de l’anoblir, cessons d’en parler, faisons comme si cette chose abjecte n’avait jamais existé et alors peut-être les cantines et les restaurants, voyant que la chose ne se vend plus, cesseront-ils d’en servir. Ça prendra cinq, dix ou quinze ans, mais peut-être réussira-t-on à nettoyer le paysage culinaire québécois de cette horreur.
Il m’est permis de rêver qu’un jour, l’étranger de passage dans nos contrées, curieux de découvrir notre gastronomie, se fera un devoir de goûter autre chose qu’encore et toujours cette satanée poutine.
samedi 6 février 2010
KAMPAÏ !
Les émissions de télé culinaires se multiplient et, ma foi, on n’a jamais vu autant de gens popoter dans le gros tube. Le phénomène a fait se développer depuis quelques années tout un vedettariat de la chose gastronomique : animateurs(trices) enthousiastes, jeunes chef charismatiques, sommeliers(ères) médaillé(e)s, etc. On aura bientôt suffisamment de cuistots télégéniques pour justifier la création d’un Canal Manger québécois, version française du Food Network. D’ailleurs, quelques-unes de nos stars québécoises de la recette n’ont pas attendu qu’Astral ou quelqu’autre empire médiatique réussisse à convaincre le CRTC du bienfondé d’une chaîne de recettes en continu, ils s’exportent déjà au Rest of Canada via le Food Network (version canadienne). Ainsi peut-on voir les Ricardo (and Friends), Chuck Hughes (et ses tatouages) et Martin Picard (Martin sur la route devenant The Wild Chef) exercer leur art devant la caméra et dans la langue de Jamie Oliver. Les magazines féminins font déjà leurs choux gras de Josée Di Stasio; verrons-nous bientôt un François Chartier ou un Danny St-Pierre à la une du Échos Vedette? Malgré cette surabondance d’émissions culinaires et leur qualité très variable, malgré le phénomène de mode et l’opportunisme qui vient avec, loin de nous l’idée de snober les shows de casseroles. Au contraire, mordus de la bouffe que nous sommes, cette abondance n’est pas une mauvaise chose. Le truc, c’est de choisir la crème. (1)
Dans ce contexte, une des dernières émissions à avoir vu le jour est Kampaï ! À votre santé, diffusée à Radio-Canne depuis septembre dernier. L’émission met en scène une animatrice charismatique (Mitsou) , un biochimiste et co-auteur de livres populaires sur l’alimentation et la prévention du cancer (le Dr Richard Béliveau) et un jeune chef dynamique qui se présente bien (Stefano Faita).
Le format est en gros le suivant. À chaque semaine, un aliment santé (dit aliment kampaï) sert de thème à l’émission. Il s’agira d’un de ces produits dont le Dr Béliveau a traité dans ses livres et que des recherches récentes permettent d’associer à la prévention du cancer. On discute des bienfaits de cet aliment sur le plan métabolique, le Dr Béliveau y allant d’un petit laïus didactique pendant que Stefano en fait l’ingrédient vedette d’une recette, préparée en direct. Parquées dans des gradins, quelques dizaines de personnes assistent à l’émission; une courte période de questions permettra à deux ou trois d’entre eux de demander des précisions au Dr Béliveau en récitant une question rédigée à l’avance par les recherchistes de l’émission. La personnalité invitée de la semaine aura le privilège de couper des légumes et de goûter aux plats préparés par Stefano pendant l’émission, tout en s’exprimant sur sa relation personnelle avec l’aliment kampaï de la semaine.
Mais malgré l’animation de la pétillante Mitsou, habillée comme si elle allait à un gala, malgré le naturel et la compétence de Stefano, malgré l’intelligence et l’enthousiasme du Dr Béliveau, la sauce ne lève tout simplement pas. Et l’émission fait patate (un aliment pas du tout kampaï, comme chacun le sait). C’est que la machine Kampaï! est trop grosse. L’émission sent le concept à plein nez et manque cruellement de naturel. Tout d’abord, cuisine et talons hauts ne font pas bon ménage. Le décor est immense. La présence du public, inutile. Tout est baigné d’une lumière rappelant l’éclairage d’un supermarché. Et le message associant l’alimentation à la bonne santé trop, beaucoup trop appuyé.
Déjà, le titre sent le concept. Kampaï. Qu’est-ce que cela? Il semble que ce soit la formule utilisée par les japonais lorsqu’ils trinquent. Comme on dirait en français « Santé! » ou « À la bonne vôtre! » Mais suite à une petite recherche sur Internet, je ne peux cependant pas conclure que la signification de ce mot japonais ait quoi que ce soit à voir avec le concept de santé. Mais qu’à cela ne tienne (comme dirait Denis Gagné de L’Épicerie), on a décidé chez Kampaï! que ce mot voulait dire « bon pour la santé ». Ainsi, parle-t-on d’aliment kampaï, de recette kampaï. On prêche les vertus d’une bonne alimentation, les disciples rassemblés dans les gradins scandent « Kampaï! », comme d’autres « Amen! » ou « Heil Hilter! » Gros, gros malaise. Je veux bien avoir une bonne alimentation, mais pas besoin pour cela de m’enrôler dans cette secte. Et puis, ce branding insistant nous fait redouter l’apparition prochaine d’une gamme de mets préparés Kampaï!, offerts chez IGA (un des commanditaires de l’émission). Et bien entendu la publication d’un livre des meilleures recettes (et des meilleurs prêches) de l’émission.
Ceci dit, la plus grande qualité de cette émission demeure le fait que le Dr Béliveau passe un réel contenu scientifique, vulgarisé sans niveler par le bas, nous servant des mots de plus de trois syllabes sans s’en excuser, abordant des notions d’histoire, de biochimie et de médecine d’une façon toute naturelle, en prenant pour acquis que les téléspectateurs peuvent avoir un certain niveau de connaissances générales et de culture scientifique. Ces quelques minutes didactiques comportent plus de science que tout le reste de la programmation de Radio-Canada (et j’inclus là-dedans Découverte). Certains diront que le monsieur n’est pas des plus télégéniques, mais ceci n’est à mon avis qu’un détail de peu d’importance par rapport aux vices de fond qui sabotent l’émission.
En fait le format inutilement spectaculaire de Kampaï! est en quelque sorte la démonstration qu’il n’y a rien de mieux qu’un bon vieux show à hauteur de fourneaux, qui tient compte de la nature intime de la cuisine, et où la bouffe et l’information – plutôt que les animateurs, le décor, le public ou les plogues publicitaires – sont les vrais vedettes.
Note:
- (1) Eh bin, mon vieux. Elle est bonne celle-là. Après avoir écrit tout ceci, je tombe par hasard sur cet article récent du site Rue Frontenac qui annonce l’entrée en onde prochaine d’un « Canal Manger » québécois! Je n’étais pas au courant de la chose. Ça sera produit par la même société qui nous offre déjà la chaîne Canal Évasion, ce qui n’est pas nécessairement une bonne nouvelle…
dimanche 17 janvier 2010
Les mystères de la poutine
La poutine est un mets de cantine (dans le sens Québécois du terme, c'est-à-dire un comptoir de restauration rapide à l’américaine), au même titre que les hamburgers, hot-dogs, guédilles, club sandwichs et autres rondelles d’oignons et se trouve tout à fait à sa place dans cet univers qui sent la friture et le ketchup. La poutine est composée d’un lit de pommes de terre frites, sur lequel sont échoués des morceaux de fromage en grain, le tout étant nappé d’une sauce brune commerciale. La chose est vendue en divers formats, allant de la petite poutine tenant dans un gobelet de styromousse à la grosse poutine remplissant généreusement un grand plat d’aluminium. Omniprésente dans toutes les gargotes du Québec, la poutine a su profiter d’une campagne de marketing viral échelonnée sur quelques décennies, ce qui lui permet aujourd’hui de figurer au panthéon de la gastronomie (aïe) québécoise, au même titre que la tourtière et le pâté chinois (1).
On prête diverses origines à la poutine et plusieurs régions du Québec se disputent l’invention de la chose... j’ai envie d’ajouter : dans l’indifférence générale. En effet, quel serait l’intérêt de découvrir l’inventeur officiel du sapin désodorisant pour automobile? Ou du nain de jardin? Ou de la coupe Longueuil?
Partant de la recette originelle – patates, fromage, sauce brune – la poutine se décline en de multiples versions, au gré des ingrédients disponibles dans une cantine et de l’imagination parfois tordue des cuistots qui y officient : poutine galvaude (avec poulet et pois verts en conserve), poutine italienne (avec sauce bolognaise), poutine smoked meat, etc.
Depuis quelques années, il est de bon ton de réhabiliter et de revisiter les mets traditionnels ou populaires québécois et la poutine ne fait certes pas exception. Ainsi, des restaurants branchés de Montréal (et d’ailleurs, je suppose) – en particulier ceux-là qui surfent sur la mode du « néo-trad-revisitant-les-classiques-populaires-en-s’assurant-de-mettre-un-maximum-de-viande-et-de-féculant-mais-un-minimum-de-légumes-dans-l’assiette » (2) – servent-ils sans honte leur version maison de la poutine. On l’additionne volontiers d’ingrédients fins, tentant de justifier la facture salée, tout aussi salée d’ailleurs que la sauce brune poche qui sert par définition de toile de fond à ce plat médiocre. Mais on a beau y mettre des patates bleues, du cheddar vieilli quatre ans ou du fond de veau véritable, de la poutine, c’est de la poutine et par essence ça n'est pas terrible.
Cette tendance à vouloir réhabiliter la poutine, à lui prêter une noblesse nimbée de qualités patrimoniales voire gastronomiques me fait bien rire. La poutine n’est pas un mets traditionnel et n’a rien de noble. Le JELL-O est-il traditionnel? Les biscuits Whippet sont-ils nobles? Il faut savoir appeler un chat un chat et la poutine n’est rien de plus que du junk-food. Certains iront jusqu’à oser prétendre que la poutine est un mets du terroir. Terroir! Le mot galvaudé par excellence! D’abord, la patate frite n’est pas un mets du terroir, pas plus que la sauce brune commerciale, d’ailleurs. D’accord pour le fromage en grain frais, mais ce n’est pas suffisant pour que l’ensemble se qualifie. Si je mets du sirop d’érable dans un Big Mac, est-ce que ce dernier devient par magie un mets du terroir? Ça me fait penser à ces fermiers excentriques qui élèvent des autruches ou des émeus dans de quelconques recoins du Québec et qui nous passent les terrines produites à l’aide de la viande de ces volatiles des antipodes pour des produits du terroir!
Ceci dit, ma mauvaise foi n’ayant d’égal que ma franchise, j’avoue n’avoir goûté aucunes de ces poutines revisitées – j’allais écrire poutines de luxe, comme on dit poules de luxe – servies dans ces restaurants à la mode. Et je n’ai pas mangé de poutine tout court depuis des siècles. C’est que j’adore les pommes de terre frites, les bonnes, les vraies, et je considère que tout amateur de frites qui se respecte devrait se faire un devoir de boycotter la poutine, que celle-ci coûte trois piasses aux Roi de la Patate ou vingt-cinq dollars chez Faux chalet néo-trad du Vieux Montréal pour états-uniens fortunés. Une bonne frite doit avoir une surface croquante et un cœur mou. Quant à elles, les frites de la poutine, noyées dans la sauce brune, n’ont l’air que de ce qu’elles sont : des macchabées de frites qu’on repêche à coup de fourche d’un lac à l’eau boueuse.
Pour sa part, Jojo est totalement vendue à la poutine du Pied de cochon. À chacune de nos visites dans ce restaurant – qui est en quelque sorte le modèle que tentent d’émuler les restos néo-trad que je raillais plus haut – Jojo commande ce plat. La version PDC? Des frites, et celles-là sont vraiment bonnes, du fromage en grain frais – jusque-là, classique – une escalope de foie gras poêlée en équilibre sur le tas et l’ensemble nappé d’une sauce au foie gras décadente faite entre autres de sauce brune, de foie gras et de crème (3). Je continue de penser que c’est une erreur de gaspiller le croquant d’une bonne frite, mais j’avoue que pour une poutine, la chose a de la gueule. Ça ne me réconcilie pas avec ce mets bâtard, mais tout ronchon que je sois, je ne peux que m’émouvoir devant ma tendre moitié qui se délecte d’une poutine au foie gras.
Question de ne pas me faire taxer d’élitiste (ou de membre de la Clique du Plateau), je terminerai en évoquant le restaurant Chez Claudette, dont chaque item du menu, imprimé sur les napperons de papier, comportait à une certaine époque deux prix : un prix de base et un prix « avec poutine ». Je ne sais trop si c’est encore le cas, n’ayant pas visité l’endroit depuis quelques années (nous y allions régulièrement petit-déjeuner à une époque où nous habitions le quartier). J’avoue que le culot de proposer indifféremment une poutine en accompagnement d’un hamburger, d’une lasagne ou d’une déjeuner « deux œufs tournés bacon » force le respect. C’est la poutine – et le principe mystérieux de la cuisine canadienne – dans toute sa gloire.
Notes :
- Par ailleurs, les Québécois ont découvert avec amusement que Poutine était aussi un patronyme russe lorsque Vladimir Poutine est devenu Président de Russie (et bientôt roi du tsar-système). On notera aussi que la poutine râpée acadienne est un mets bien différent de la poutine québécoise, bien que ces mets homonymes aient en commun l’utilisation de pommes de terre et, disons, un degré de raffinement gastronomique très relatif.
- Cet excellent article de Marie-Claude Lortie de La Presse offre un portrait amusant de ce phénomène de mode.
- Ces détails sont tirés de l’album « Au pied de cochon ».
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