dimanche 5 juin 2011

Je ne bois pas la vie en rose (sur un air connu)


Il y a de ces débats complètement stériles qui visent à déterminer par des arguments objectifs la supériorité d’une chose sur une autre, alors que celles-ci ne s’opposent nullement et qu’il n’y a tout simplement pas de choix à faire entre elles. Ainsi, il n’est pas rare pendant un repas entre amis d’entendre quelqu’un lancer que « en général, c’est bien entendu, le vin rouge est bien meilleur que le blanc ». À chaque fois que j’entends ce genre d’ineptie, je me demande pourquoi diable il faudrait choisir entre rouge et blanc. Pourquoi ne pas apprécier les deux? Il n’y a rien comme la variété; il se trouve qu’il y a des vins intéressants de tous les prix tant en blanc qu’en rouge. Et il existe de grands vins blancs comme il existe de grands vins rouges.

Tout ceci étant dit, cette théorie de la relativité ne s’applique pas au vin rosé. Parce que le rosé, objectivement, ce n’est pas très bon.

À chaque année, je me fais prendre à acheter une bouteille de rosé, victime du marketing et de l’exaltation qui nous gagne naturellement lorsque la saison chaude revient. Ainsi, ce week-end ai-je aléatoirement fait l’achat compulsif d’une bouteille du vin de pays d’Oc C’est la vie! Syrah rosé, 2009, sans doute leurré par le prix spécial affiché à la SAQ (prix régulier 13,70$ en spécial à 12,35$). De retour à la maison, apéro, soleil, week-end, la vie est belle (je dis ça pour vous faire croire que je ne suis pas qu’un mononcle ronchon). Je goûte et je note. Dans le verre, le vin montre une jolie robe rose-orangé. On croit percevoir un nez très discret de fruits rouges. En bouche, à part la sensation de froid, on n’a droit qu’à une légère acidité et un fruité, disons, évanescent. En fait, ce vin serait presque insipide, si ce n’était de cette forte amertume en arrière-goût, persistante et loin d’être agréable. « Fruité et léger » disait la stupide pastille de goût SAQ. Léger, d’accord. Fruité, très peu, merci. Y a-t-il une pastille de goût pour « jus de fruit dilué avec un fort arrière-goût vineux » ? Dans le cas de ce vin, me suis-je dit, la modération a effectivement bien meilleur goût.

À chaque année, je me dis qu’on ne m’y reprendra plus. Vous voulez boire léger parce que c’est l’été et que c’est l’heure de l’apéro? Pour le même prix, combiens de sympathiques blancs pourriez-vous goûter en lieu et place de ces rosés insipides! La plupart des rosés me semblent tout simplement trop chers pour ce qu’ils offrent. Faites-vous plaisir : pour 1 ou 2$ de plus, optez donc par exemple pour un chardonnay d’Afrique du Sud ou un petit vin alsacien d’entrée de gamme, qui fera des merveilles à l’apéro? Les chroniqueurs en vin ont toujours de bons mots pour le rosé, nous recommandant de le servir bien froid, le décrivant comme un vin de soif, rafraîchissant, etc. À ce compte, pourquoi ne pas vous ouvrir une bonne bière, tout aussi rafraîchissante, qui vous soulera moins, qui aura du goût et une bonne amertume, par exemple, l’excellente et délicieusement amère St-Ambroise blonde de la brasserie McAuslan ou une rafraîchissante bière blanche de n’importe quelle micro-brasserie québécoise?

J’admets que le vin rosé a son rôle à jouer dans l’univers œnologique. Dans le sud de la France, on peut s’acheter en vrac chez le vigneron un petit rosé à 1 euro le litre. Dans ce contexte, je comprends très bien qu’on s’en tape quelques verres à l’apéro sur la terrasse, entre amis. Mais le Québec n’est pas la Provence. Le modèle de tarification de la SAQ fait en sorte que ces vins modestes et bons marché deviennent non compétitifs une fois sur les tablettes des succursales de notre monopole favori. À 13$ la bouteille, il n’y a plus aucune raison d’acheter ces vins rosés, sauf peut-être pour l’effet assez joli d’un liquide rose et transparent dans une coupe.

Mais pour ça, on peut toujours se préparer un kir, n’est-ce pas?

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