dimanche 18 décembre 2011

Au cinquième péché


C’est la rançon de la gloire, je suppose. D’abord, il y a la réputation que Montréal s’est bâtie comme destination gastronomique et ces restaurants dont le nom circule dans certains circuits touristiques. Ensuite, il y a ces chefs qui sont devenus sinon des petites vedettes, du moins des visages connus à la télé; je ne parle pas seulement de ceux qui s’improvisent animateurs au « Canal-manger », mais aussi de ces chefs qu’on invite à des émissions comme à la di Stasio et qui publient leur « album du restaurant ». Bref, pour avoir le privilège de manger dans certains restaurants, il faut prendre une réservation plusieurs semaines à l’avance. Si ce phénomène reflète la bonne santé du tourisme et du milieu montréalais de la gastronomie, c’est aussi devenu sujet d’agacement pour le montréalais affamé qui a l’habitude de s’y prendre à la dernière minute lorsqu’il veut aller au resto. Comme moi, par exemple.

Chez les Becs fins – et ce n’est pas par snobisme, mais parce que nous improvisons nos sorties – peu importe le standing ou la célébrité du resto, nous ne réservons jamais plus de deux ou trois jours d’avance. Et ça peut même se faire la veille, quand ce n’est pas le jour même. Parfois, par chance, il y a des places au comptoir qui se libèrent à la dernière minute. Mais c’est loin d’être toujours le cas.

Ainsi, ce vendredi-là, j’entrepris de faire quelques appels pour réserver deux places pour le lendemain. Je tentai ma chance dans quelques restaurants que nous apprécions bien, dont le nom est peut-être un peu connu, mais rien d’hyper branchés et touristiques comme le Pied de cochon ou le Toqué! Cependant, pas de chance : tout était complet. Dans un ce ces restaurants, on m’a même demandé, d’un ton qui mêlait ahurissement et mépris : « Vous voulez dire samedi, demain? ». J’aurais dû répondre : « Non, samedi le 27 mars 2049. » Mais je me suis retenu. Parce que nous avons l’habitude de ce genre de situation.

S’ensuit immanquablement une petite session de remue-méninges et de recherche sur l’Internet. Et c’est au gré de ces réflexions qu’a émergé ce jour-là un nom: le Cinquième péché. Nous nous sommes en effet rappelé cet excellent petit resto du Plateau-Mont-Royal que nous avons visité quelques fois et où nous n’étions pas retournés depuis un moment. Excellente suggestion. J’appelle. Ataboy! Il reste de la place… au comptoir!

Le cinquième péché, vous l’aurez deviné, est la gourmandise. Anciennement dans un tout petit local de l’avenue du Mont-Royal, le Cinquième péché a déménagé pas très loin de là, l’été dernier. Il se trouve maintenant sur la rue Saint-Denis, voisin du Quai des brumes, dans un demi-sous-sol typique du coin.

En cette froide soirée du début de l’hiver, la salle est chaleureuse avec ses vieux murs de pierre qui sont mis en vedette dans un décor par ailleurs minimaliste : le bar, les petites tables et chaises de bois, le plancher de ciment. À l’entrée, une jolie murale du bédéiste Cyril Doisneau, malheureusement en partie cachée par un rideau coupe-froid.

À notre arrivée, on nous annonce qu’une table s’est libérée. Tant pis pour le comptoir! Nous nous y installons. Au mur, de grandes ardoises présentent le menu : les entrées (huîtres, foie gras, potage, salade de pieuvre, etc.), les plats (onglet de bœuf, gnocchi, pétoncles, ris de veau, etc.), les desserts et quelques vins au verre à prix très raisonnable. Bref, le Cinquième péché est un de ces restaurants offrant un heureux mélange du bistro et du restaurant gastronomique décontracté, formule que nous affectionnons tout particulièrement.

Les entrées arrivent. Au moment de servir la soupe topinambour et foie gras, on verse le potage sur un morceau de foie gras au torchon, shiitakes poêlés, crumble de peau de canard et copeaux de châtaigne. Jolie assiette, mais jugée plutôt fade, cependant.

La présentation du maquereau fumé maison est fort originale. Des lanières de poisson que je devine mariné reposent sur un mini-fumoir dans lequel un tison se consume. La texture du poisson est superbe, mais son goût de fumé pour le moins subtil. Et les volutes qui sortent du fumoir finissent par agacer les narines. Avec sa petite salade d’algue en accompagnement, le plat est tout de même intéressant.

En guise de plat principal, faisant fi des bonnes pratiques du blogage gastronomique, nous choisissons tous les deux le même plat : les ris de veau. Et nous ne regretterons en rien ce choix; en effet, pas sûr que pour faire goûter notre tendre moitié, nous aurions accepté de partager cette merveille! Des ris de veau bien grillés, croustillants en surface, reposent sur un lit de légumes – oignons perlés, feuilles de choux Bruxelles, carottes – et une décadente purée de carottes au beurre noisette. Un jus de viande bien concentré lie tout ça. Miam!

Au dessert, nous partageons la charlotte aux canneberges. Une mousse dense au chocolat noir, des mini-doigts de dame maison, des canneberges juteuses. L’acidité et le fruité de la canneberge se marie merveilleusement à l’amertume et au gras du chocolat. Très beau dessert.

Le service est comme on l’aime : décontracté, simple et bien rythmé. Bientôt, la salle se remplit, un couple de gens peu prévoyants (comme nous) étant même installé au bar.

Malgré les entrées qui nous auront laissé perplexes, nous quittons le restaurant ravis, nous disant qu'il faudra retourner bientôt au Cinquième péché. Peut-être avons-nous été chanceux d’avoir une table un samedi soir en réservant le jour même? Note à moi-même : la prochaine fois, penser de réserver quelques jours à l’avance...

Évaluation : ***½
Prix par personne : Comptez une cinquantaine de dollars avant vin, taxes et service. Vin au verre à prix raisonnable (choix à 7 et 8$).
4475 rue Saint-Denis, Montréal
(514) 286-0123

Note: la photo a été piquée sur la page Facebook du resto.

samedi 10 décembre 2011

Une gigantesque tourtière du Lac Saint-Jean



Ah, la tourtière! Un bon mets d’hiver bien de cheux-nous, réconfortant, bourratif, qui évoque tant et tant de souvenirs de Noël blanc, de party de famille et de maisonnée bruyante. La tourtière! Reine du terroir québécois, qui se décline selon les régions en une multitude de formes portant différentes appellations: tourtière, tourte, cipâte ou cipaille. Il n’est surtout pas question de raviver ici le vieux débat sur la nature authentique de la tourtière québécoise. Pour nous, c’est réglé, le Lac Saint-Jean a gagné et tout ce qui n’est pas une tourtière du Lac ne mérite au mieux que la vulgaire appellation de pâté à la viande. Peut-être dans deux cents ans, débattra-t-on encore de l’origine de la poutine, mais pour la tourtière, nous sommes d’accord avec les Tremblay et les Bouchard : ne mérite le nom de tourtière que celle portant le label « Lac Saint-Jean ».

Mais qu’est-ce qui fait une tourtière du Lac? D’abord, j’ai envie de dire : son gigantisme. Une tourtière qui se respecte devrait pouvoir nourrir un camp de bûcherons affamés par une longue journée de travail. Ensuite, c’est le mariage des viandes, de la pomme de terre et du lard. Car la tourtière, ça n’a rien de léger, ça n’a rien de Kampaï, mais ça vous tapisse le bedon de bonnes protéines, de bons féculents et de bon gras. Que demander de plus, à part peut-être un peu de ketchup maison et un verre de Côte du Rhône? Oubliez les machins ayant l’apparence d’une tarte, la tourtière assume pleinement sa troisième dimension; oubliez les préparations à la viande hachée, la tourtière se doit d’être aux cubes, des cubes de viandes et de pommes de terre, s’entend.

À chaque année, c’est la même chose : on n’a pas vraiment noté la recette de l’année précédente et on se retrouve à fouiller dans nos fichiers, à faire des recherches, à comparer plusieurs recettes, à ressortir cette recette ancestrale originaire du Lac (dénichée dans le grenier d’une maison du village fantôme de Val-Jalbert) et à faire un peu la moyenne de tout ça. Encore cette année, le résultat s’est avéré tout à fait satisfaisant. Et lorsque nous sortîmes le monstre du four, nous eûmes beau tendre l’oreille, nous fûmes rassurés de ne pas entendre les ancêtres Jeannois de Madame Becs fins se retourner dans leurs tombes. C’était mission accomplie.

Bref, cette année, c’est notre cadeau de Noël à vous cher lecteur gourmand : voici « notre » recette de tourtière du Lac Saint-Jean.

[Ajout 2011-12-11] La recette traditionnelle requiert l’utilisation de viandes de gibier. C’est qu’à une certaine époque, au Lac Saint-Jean (et un peu encore dans ses coins les plus reculés), on n’avait qu’à poser quelques collets dans son jardin ou son champ pour attraper des lièvres; on n’avait qu’à aller faire un tour dans le bois pas trop loin pour chasser. Encore aujourd’hui, dans le temps des Fêtes, bien des Jeannois ont de la viande de bois dans leur congélateur, fruit de la chasse de l’automne précédent. Si c’est votre cas, vous pourrez adapter la recette plus bas et y substituer, disons, la viande rouge par du chevreuil ou de l’orignal, et la volaille par de la perdrix. Dans le même esprit, vous pourrez mettre des viandes de gibier d’élevage (pardonnez l’oxymore!). Ainsi, une lectrice nous indique en commentaire que son mari remplace le poulet par de la pintade. Excellente idée, qui nous rapproche davantage de la tradition. Notez cependant que les viandes d’élevage ont un goût beaucoup moins prononcé que les viandes sauvages et le fait de remplacer le bœuf par du cerf d’élevage, par exemple, ne changera pas de façon très marquée le résultat, pour un prix au kilo nettement plus élevé.

Ingrédients (pour une bonne quinzaine de bûcherons affamés)

  • 600 g de bœuf à ragoût
  • 600 g de veau à ragoût
  • 600 g de porc à ragoût
  • 1 poitrine de poulet
  • 200 g de lard salé
  • 4 oignons grossièrement hachés
  • 2 kg de pomme de terre
  • Environ 1,5 kg de pâte brisée
  • 3 feuilles de laurier
  • Environ 1,5 l de bouillon de poulet
  • 1 cuillère à soupe de sarriette séchée
  • Sel et poivre

Préparation

La veille : Couper toutes les viandes en petits cubes. Les mettre dans un grand bol. Ajouter l’oignon grossièrement haché, la sarriette et les feuilles de laurier. Saler et poivrer. Bien mélanger la préparation. Couvrir d’une pellicule plastique et laisser reposer au frigo pendant 24 heures.



Le jour du crime :

Chauffer le four à 400oF (200oC).

Couper les pommes de terre en dés.



Rouler la pâte. En tapisser le fond et les côtés d’une cocotte de fonte émaillée géante de 9 litres.



Disposer dans la cocotte une couche de la préparation à la viande, puis de pommes de terre et répéter ainsi jusqu’à épuisement des ingrédients.



Couvrir d’une abaisse. Sceller les abaisses inférieures et supérieures en roulant la pâte du pourtour pour former des boudins. 



Percer une cheminée de la circonférence d’un deux dollars (2 à 3 cm de diamètre). 

À l’aide d’un entonnoir, verser le bouillon de poulet par la cheminée, jusqu’à ce que le niveau soit visible. Badigeonner la pâte de lait (pour faire une croûte dorée).



Enfourner la cocotte et laisser cuire à découvert pendant 15 minutes.

Baisser le feu à 225oF (105oC), couvrir la cocotte et laisser cuire doucement pendant 6 heures.

* * *

L’odeur de tourtière emplira bientôt la maison. N’ayez pas peur de servir à vos convives de généreuses portions, vous serez certain qu’il n’en manquera pas! La viande et les pommes de terre seront gorgées de saveur et le gras du lard aura rendu le bouillon bien onctueux. Servez avec du ketchup maison, des marinades et une salade. Pour notre part, nous aimons bien accompagner la tourtière d’une salade de carotte et d’une rémoulade bien fraîches. Arrosez d’un rouge ayant du corps et du fruit, un vin de grenache ou de syrah, par exemple un Côte du Rhône ou un vin espagnol.

La tourtière est excellente (certains disent meilleure) réchauffée : bonne nouvelle, parce qu’à la grosseur du monstre, vous aurez vraisemblablement quelques restes!

Sur ce, bon appétit et Joyeuses Fêtes!