samedi 15 octobre 2011

Casino Royale, une aventure des Becs fins, agents très spéciaux (suite et fin)

(Résumé de l'épisode précédent: les Becs fins, agents très spéciaux, tentent de récupérer les plans d'un pipeline ultra-secret dissimulés dans une épingle à cravate et une boucle d'oreille. Enfin, tout cela est très compliqué et se déroule au chic Casino de Madrid où une réception est donnée, dont le menu est signé Ferran Adrià, rien de moins.)






Le Salòn Real semblait tout droit sortie du dix-neuvième siècle avec ses plafonds hauts, ses moulures et dorures et ses immenses lustres de cristal. Un trio à corde égayait l’atmosphère d’une douce musique de chambre alors que le souper allait bon train. Jo et moi nous étions stratégiquement installés non loin de ma cible, l’ambassadrice. Nous partagions une table avec divers notables européens auxquels nous nous contentâmes de donner le change. Je gardais constamment un œil sur la table d’honneur, où prenaient place l’ambassadeur de Turquie et sa femme, Mikhaïl Krimpov et sa conjointe – une mannequin d’à peine dix-huit ans dont le visage semblait photoshoppé, même dans la vraie vie – ainsi que le Président du FMI du moment et son épouse.

Le souper était excellent. L’entrée de Carpaccio de bolet avec salade de pâtes fraîches, parmesan et vinaigrette aux noix s’avéra fort original. De fines tranches de champignon couvraient le fond de l’assiette. On avait nappé le tout d’une généreuse préparation à la noix. Un petit nid de linguine surmontait le tout. Pas mal du tout, quoique le goût de champignon me semblât un peu perdu derrière la vinaigrette, qui avait quelque chose du beurre d’arachide. Cet effet était par contre tempéré grâce à la fraîcheur de l’excellent chardonnay qu’on nous servit pour accompagner ce plat.

J’espérais que la femme de l’ambassadeur se levât au cours du souper, question que je puisse l’aborder dans un endroit discret et lui dérober sa boucle d’oreille USB. Mais elle ne décolla pas de sa chaise de tout le repas, écoutant passivement la conversation autour d’elle, un discret sourire au visage. Elle me sembla absente, distraite. Je la gardai à l’œil, espérant avoir bientôt une ouverture me permettant de mettre à l’œuvre mon plan.

On nous servit le plat principal, une Dorade avec soupe de pois et tagliatelle de seiche. Un filet de dorade parfaitement poêlé, à la fois tendre et croquant, se tenait en équilibre sur les lanières de seiche, le tout dans une espèce de potage de pois verts. Un plat léger et tout en subtilité. Zieutant la table d’honneur, je rongeais toujours mon frein lorsque fut servi le dessert, un Gâteau au chocolat croquant, accompagné d’un petit muscat espagnol pas piqué des vers. L’excellent repas, le décor somptueux, la musique de chambre : je me dis qu’il y a parfois quelques avantages à cette vie dangereuse et trépidante qu’est celle d’un agent secret.

C’est au moment où débuta le service des digestifs que la femme de l’ambassadeur se leva et, se faufilant entre les tables, quitta la salle. Mon regard croisa celui de Jo qui hocha subtilement la tête. Je m’excusai et me glissai prestement vers la sortie. J’arrivai juste à temps dans le couloir pour voir l’ambassadrice s’éloigner sur la balustrade. Elle marchait prestement, jetant des regards inquiets par-dessus son épaule. Je la suivis furtivement, longeant les murs. Elle dévala le grand escalier jusqu’au rez-de-chaussée et le grand patio, maintenant désert.

Du haut des marches, caché derrière une statue de Vénus en tenue d’Adam, je la vis se diriger vers un coin sombre où l’attendait un homme ventru, dans un complet froissé. Jorge! Elle dégrafa sa boucle d’oreille et la lui remit. Ils s’embrassèrent en vitesse. Ainsi donc Jorge jouait double jeu! À la faveur d’une aventure avec l’ambassadrice, voilà qu’il avait réussi à mettre la main sur l’un des deux objets convoités. J’imaginais que ce cher Jorge espérait ensuite nous subtiliser l’épingle à cravate, de gré ou de force, puis récupérer les plans du pipeline ultrasecret et les vendre au plus offrant. Ah, le traître! Jorge se dirigea vers la sortie du Casino et la femme de l’ambassadeur remonta vers la salle de réception. Toujours caché derrière cette Vénus callipyge, je calculai mon prochain coup. Il ne me fallut que quelques secondes pour déterminer que je n’avais pas le choix : il fallait que je suive Jorge et cette maudite boucle d’oreille.

* * *

La suite se déroula en un éclair. Sur le trottoir, je vis Jorge démarrer sur les chapeaux de roues au volant d’une Skoda d’un autre âge, probablement assemblée à l’époque du Bloc communiste. Sautant dans un taxi, je promis cent euros au chauffeur s’il réussissait à suivre la voiture de Jorge. Malgré qu’il fit nuit, il y avait pas mal de monde dans les rues du centre de Madrid, qui brillaient de mille feux. Nous ne roulâmes pas bien longtemps et je reconnus bientôt la Plaza de Neptuno et sa fontaine monumentale, représentant Neptune debout sur un char en forme de coquillage, tiré par deux chevaux ayant le corps de poissons. Nous prîmes ensuite Paseo del Prato et je compris que Jorge se dirigeait vers notre hôtel pour nous y attendre et nous contraindre à lui remettre l’épingle à cravate. Je me fis débarquer devant le Ritz.

Dans le lobby, Jorge s’engageait dans un ascenseur lorsque je le rejoins, y grimpant à mon tour. Jorge sursauta en me reconnaissant. Alors que les portes se refermaient, je me jetai sur lui. Nous luttâmes pendant que  l’ascenseur montait vers le dernier étage de l’hôtel, là où se trouvait notre suite. Je tentai une clé de bras, mais Jorge fut plus rapide et m’asséna une droite traitresse. Relevant la tête, je le vis sortir un révolver de son veston et me mettre en joue.

‒ Donnez-moi l’épingle à cravate, m’ordonna-t-il.

‒ Je suis désolé, mais je ne l’ai pas, répondis-je.

‒ Où est-elle? aboya-t-il.

‒ Je ne sais pas, répondis-je. Elle est probablement en train de retenir la cravate de ce cher Mikhaïl Krimpov, qu’en pensez-vous?

‒ D’accord, dit-il, votre partenaire doit être en train de s’en occuper. Dans ce cas, nous allons simplement l’attendre.

Il m’escorta jusqu’à notre suite, où il me fit asseoir sur le lit, alors qu’il s’installait dans un fauteuil, pointant son révolver vers moi. Pour tuer le temps, je le questionnai sur ses motivations et il entreprit de m’expliquer tout cela en long et en large, comme le veut la tradition des romans de genre.

‒ J’espère que je ne dérange trop pas votre petite conversation, messieurs?

C’était Jo qui s’était glissée dans la suite à notre insu. Elle tenait Jorge en joue avec son mini-révolver silencieux de voyage, le genre de truc qui se glisse dans un tout petit sac et qui peut faire de très gros dégâts. Pris de court, Jorge tenta sa chance, fit un geste pour se détourner de moi et mettre Jo en joue, mais n’eût le temps de faire ni l’un ni l’autre. Jo tira. Le coup fut assourdi par le silencieux, ne faisant pas plus de bruit qu’une bouteille de champagne qu’on débouche. Jorge s’écroula, raide mort. Je fouillai ses poches, y trouvant finalement ce que je cherchais : la boucle d’oreille. Je la montrai à Jo et lui fit un clin d’œil.

‒ Bon, dis-je, je crois que nous avons maintenant droit à de vraies vacances, non?

* * *

Nous n’avions évidemment pas avantage à nous éterniser dans la capitale espagnole. Disons que laisser un cadavre en cadeau dans une chambre d’hôtel n’est pas au goût de la policía locale. Nous quittâmes donc l’hôtel précipitamment. Il nous faudrait penser à prévenir les collègues du QG que les identités de M. et Mme de Moor était grillées et que ces deux tourtereaux apparaîtraient bientôt que la liste de recherche d’Interpol.

À l’aéroport, après avoir mis la boucle d’oreille et l’épingle à cravate dans une boîte et envoyé le tout au QG par Purolator, nous étudiâmes le tableau des départs.

‒ Tiens, dit Jo, pourquoi pas Venise?

‒ Excellent idée, répondis-je. Et qui sait, peut-être aura-t-on la chance d’y croiser par hasard George Clooney?



Bien que les événements et les personnages mis en scène dans cette histoire soient évidemment fictifs, la description du Casino de Madrid et de la nourriture que nous avons eu la chance d’y goûter est authentique. – Casino de Madrid, Alcalá 15, Madrid. Sur invitation seulement. Service de traiteur disponible pour les réceptions.

1 commentaire:

  1. C'est cool de jouer les riches et célèbres! Pour info, Georges Clooney, vient d'acheter une maison ici à Nyon sur le bord du lac Léman... On est donc un peu voisins ;) J'aurais peut-être la chance de le croiser à la station service...

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