lundi 15 février 2010

Toqué!


À chacun sa conception de ce qu’est se payer une belle soirée et de la valeur associée à la chose. Par exemple, un fan de Metallica n’hésitera pas à payer deux cent dollars pour assister à un spectacle de ses rugissantes idoles dans un aréna sportif. Pour ma part, la visite d’un restaurant gastronomique,  pour autant que cela demeure une sortie d’exception, mérite qu’on y investisse un montant appréciable. En prime, et contrairement à un spectacle de Metallica, on partage réellement l’expérience avec d’autres enthousiastes, on peut commenter le plaisir qu’on en retire et une partie de ce plaisir découle tout simplement du fait qu’on profite d’un moment agréable en plaisante compagnie.

Ainsi ma tendre moitié et moi avons-nous visité récemment le restaurant Toqué! pour célébrer l’anniversaire de madame. C’était notre deuxième visite dans cet établissement, la première datant d’il y a environ cinq ans, à l’époque où le Toqué! était ouvert le midi, ce qui constituait alors une aubaine gastronomique. Il y a d’ailleurs encore de nombreux excellents restaurants en ville dont le menu du midi représente une belle façon de se frotter à la gastronomie à bon prix. Mais cette fois-ci, nous nous payions la totale : le Toqué!, un vendredi soir, alors qu’on y offrait un menu dégustation de la St-Valentin.

On dit du Toqué! qu’il est le meilleur restaurant de Montréal. Je n’aime pas trop juger les choses en ces termes, sous forme d’absolu. Selon moi, il n’y a pas de palmarès universel permettant d’identifier un meilleur, puis un deuxième, puis un troisième, etc. Que veux dire « le meilleur » de toute façon? Par exemple, il est vrai de dire que le Toqué! n’est pas le meilleur restaurant chinois de Montréal ou qu’on n’y sert pas la meilleure poutine en ville (je ne sais même pas si on s’y est déjà essayé). Le Toqué! fait-il partie des meilleures tables de la ville? On le dit. Et c’est à ce titre que nous avons jugé de notre expérience, parce que tout passionnés que nous sommes, nous n’en gardons pas moins toujours notre esprit critique.

Ce soir-là, fête des amoureux oblige, le Toqué! proposait uniquement deux menus dégustation : un sept services et un dix services. Pas de carte ce soir-là. Chaque menu était facultativement offert avec une sélection de vins d’accompagnement. Nous avons tous deux optés pour le menu à sept services, pour ma part dans sa version accompagnée de cinq vins. Nous nous prêtâmes sans rechigner au jeu de la figure imposée; un des plaisirs de ce type de menu venant du fait qu’on ne sache pas d’avance ce qu’on nous servira, chaque service bénéficiant ainsi d’un effet de surprise.

Voici un résumé des points forts de ce repas.

Premier service. Dans l’assiette, deux petits coquillages. Dans chacun, un pétoncle cru accompagné d’une brunoise de pomme (et de ce qui m’a semblé être sous la dent du céleri rave), le tout arrosé d’un genre de vinaigrette et décoré d’une touche de mousse de coing. Le serveur nous invita à avaler le contenu de chaque bivalve comme on le ferait d’une huître. Nous nous résignâmes à détruire l’harmonie de ces jolies miniatures. L’harmonie du plat, son acidité parfaite, tout à fait à propos en début de repas, cette touche parfumée, probablement l’effet de la mousse de coing, la délicatesse de l’ensemble, enfin, nous a presqu’arraché une larme. Et on n’en était qu’au service numéro un. Ça commençait fort.

Le deuxième service continuait sur la lancée : du maquereau fumé comme nous n’en avions jamais dégusté. Servi dans une assiette à partager, le filet, détaillé en belles tranches, était accompagné de choux de Bruxelles sautés au sirop d’érable. La tendreté de la chair du poisson, avec son côté gras, fumé à cru, la saveur de fumée en retenue, ce petit goût caramélisé dont nous n’avons pu retracer l’origine, peut-être dû à la présence de sirop d’érable dans la préparation. Le maquereau n’est pas un poisson qui fasse l’unanimité, ma tendre moitié avoue ne pas en être d’ordinaire une fan, mais ici, c’était pur bonheur de part et d’autre de la table.

Ma douce me parle encore avec émotion de ce drôle de sandwich au foie gras servi en troisième service. Entre deux gaufrettes, une tranche de terrine de foie gras et de la confiture d’églantier en guise de condiment. Le sandwich est saupoudré de fleur de sel et d’une poudre non identifiée dont l’effet acide sur la langue rappelle celui de certains bonbons extrêmes.

Les quatrième et cinquième services étaient quant à eux dédiés à diverses coupes et préparations de viandes, puis le service six à une variation sur le fromage. Enfin, l’ultime service consistait en un dessert déclinant la fraise de diverses manières  – compote, chips, en crème fouettée – avec une touche de ganache. Belle finale.

J’avoue avoir un peu manqué de souffle vers le cinquième service. La progression en intensité des saveurs était parfaite, mais comme c’est souvent le cas dans ce genre de restaurant, à force de faire la part belle aux produits protéinés, on finit par me donner la nostalgie des légumes, dont nous sommes d’ordinaire chez nous de gros consommateurs. Mais je sais bien que cette critique est un peu à côté de la plaque dans le contexte du menu sept services d’un restaurant gastronomique; c’est comme aller à l’opéra et se plaindre qu’on n’y trouve que des gros monsieurs et des grosses madames qui chantent fort.

Le service était comme on l’aime dans les bons restaurants modernes de Montréal : jeune, décontracté, poli et efficace. Un service réglé au quart de tour – le personnel ne manque pas au Toqué! – ni trop rapide, ni trop lent. Pas de flafla, pas de nœud papillon, pas de pétage de broue : on est en 2010, on est à Montréal, on est convivial et c’est parfait ainsi. Tout au plus le sommelier nous a-t-il paru un tantinet hautain, ne sachant trop comment réagir à mes commentaires peu éclairés (je n’y connais pas grand-chose au vin et lorsque je vais au restaurant, j’ai le don par mes remarques d’avoir l’air encore plus ignorant). Rien à voir avec ces sommeliers de La Chronique qui avaient pris le temps de m’expliquer leurs vins, répondant de bonne grâce à mes questions stupides, comme si elles allaient de soi.

Au final, le Toqué! est-il un grand restaurant? Sa cuisine y est inventive et moderne sans tomber dans les gadgets à la mode. Elle évite aussi les écueils du terroir trop appuyé (du genre menu de greasy spoon revisité). Ici, l’art culinaire se fait somptueux sans ce luxe de pacotille qui nous fait trop souvent tiquer dans les restaurants dits hauts de gamme. Notre verdict? Le Toqué! n’a certes pas volé sa réputation!

Évaluation: ****½

Restaurant Toqué!, menu de la St-Valentin à 7 services, 95$ par personne avant vin, taxes et service (soit au total le prix d’un spectacle de Metallica incluant bière et t-shirt promotionnel).

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