dimanche 17 janvier 2010

Les mystères de la poutine

La poutine est un mets de cantine (dans le sens Québécois du terme, c'est-à-dire un comptoir de restauration rapide à l’américaine), au même titre que les hamburgers, hot-dogs, guédilles, club sandwichs et autres rondelles d’oignons et se trouve tout à fait à sa place dans cet univers qui sent la friture et le ketchup. La poutine est composée d’un lit de pommes de terre frites, sur lequel sont échoués des morceaux de fromage en grain, le tout étant nappé d’une sauce brune commerciale. La chose est vendue en divers formats, allant de la petite poutine tenant dans un gobelet de styromousse à la grosse poutine remplissant généreusement un grand plat d’aluminium. Omniprésente dans toutes les gargotes du Québec, la poutine a su profiter d’une campagne de marketing viral échelonnée sur quelques décennies, ce qui lui permet aujourd’hui de figurer au panthéon de la gastronomie (aïe) québécoise, au même titre que la tourtière et le pâté chinois (1).

On prête diverses origines à la poutine et plusieurs régions du Québec se disputent l’invention de la chose... j’ai envie d’ajouter : dans l’indifférence générale. En effet, quel serait l’intérêt de découvrir l’inventeur officiel du sapin désodorisant pour automobile? Ou du nain de jardin? Ou de la coupe Longueuil?

Partant de la recette originelle – patates, fromage, sauce brune – la poutine se décline en de multiples versions, au gré des ingrédients disponibles dans une cantine et de l’imagination parfois tordue des cuistots qui y officient : poutine galvaude (avec poulet et pois verts en conserve), poutine italienne (avec sauce bolognaise), poutine smoked meat, etc.

Depuis quelques années, il est de bon ton de réhabiliter et de revisiter les mets traditionnels ou populaires québécois et la poutine ne fait certes pas exception. Ainsi, des restaurants branchés de Montréal (et d’ailleurs, je suppose) – en particulier ceux-là qui surfent sur la mode du « néo-trad-revisitant-les-classiques-populaires-en-s’assurant-de-mettre-un-maximum-de-viande-et-de-féculant-mais-un-minimum-de-légumes-dans-l’assiette » (2) – servent-ils sans honte leur version maison de la poutine. On l’additionne volontiers d’ingrédients fins, tentant de justifier la facture salée, tout aussi salée d’ailleurs que la sauce brune poche qui sert par définition de toile de fond à ce plat médiocre. Mais on a beau y mettre des patates bleues, du cheddar vieilli quatre ans ou du fond de veau véritable, de la poutine, c’est de la poutine et par essence ça n'est pas terrible.

Cette tendance à vouloir réhabiliter la poutine, à lui prêter une noblesse nimbée de qualités patrimoniales voire gastronomiques me fait bien rire. La poutine n’est pas un mets traditionnel et n’a rien de noble. Le JELL-O est-il traditionnel? Les biscuits Whippet sont-ils nobles? Il faut savoir appeler un chat un chat et la poutine n’est rien de plus que du junk-food. Certains iront jusqu’à oser prétendre que la poutine est un mets du terroir. Terroir! Le mot galvaudé par excellence! D’abord, la patate frite n’est pas un mets du terroir, pas plus que la sauce brune commerciale, d’ailleurs. D’accord pour le fromage en grain frais, mais ce n’est pas suffisant pour que l’ensemble se qualifie. Si je mets du sirop d’érable dans un Big Mac, est-ce que ce dernier devient par magie un mets du terroir? Ça me fait penser à ces fermiers excentriques qui élèvent des autruches ou des émeus dans de quelconques recoins du Québec et qui nous passent les terrines produites à l’aide de la viande de ces volatiles des antipodes pour des produits du terroir!

Ceci dit, ma mauvaise foi n’ayant d’égal que ma franchise, j’avoue n’avoir goûté aucunes de ces poutines revisitées – j’allais écrire poutines de luxe, comme on dit poules de luxe – servies dans ces restaurants à la mode. Et je n’ai pas mangé de poutine tout court depuis des siècles. C’est que j’adore les pommes de terre frites, les bonnes, les vraies, et je considère que tout amateur de frites qui se respecte devrait se faire un devoir de boycotter la poutine, que celle-ci coûte trois piasses aux Roi de la Patate ou vingt-cinq dollars chez Faux chalet néo-trad du Vieux Montréal pour états-uniens fortunés. Une bonne frite doit avoir une surface croquante et un cœur mou. Quant à elles, les frites de la poutine, noyées dans la sauce brune, n’ont l’air que de ce qu’elles sont : des macchabées de frites qu’on repêche à coup de fourche d’un lac à l’eau boueuse.

Pour sa part, Jojo est totalement vendue à la poutine du Pied de cochon. À chacune de nos visites dans ce restaurant – qui est en quelque sorte le modèle que tentent d’émuler les restos néo-trad que je raillais plus haut – Jojo commande ce plat. La version PDC? Des frites, et celles-là sont vraiment bonnes, du fromage en grain frais – jusque-là, classique – une escalope de foie gras poêlée en équilibre sur le tas et l’ensemble nappé d’une sauce au foie gras décadente faite entre autres de sauce brune, de foie gras et de crème (3). Je continue de penser que c’est une erreur de gaspiller le croquant d’une bonne frite, mais j’avoue que pour une poutine, la chose a de la gueule. Ça ne me réconcilie pas avec ce mets bâtard, mais tout ronchon que je sois, je ne peux que m’émouvoir devant ma tendre moitié qui se délecte d’une poutine au foie gras.

Question de ne pas me faire taxer d’élitiste (ou de membre de la Clique du Plateau), je terminerai en évoquant le restaurant Chez Claudette, dont chaque item du menu, imprimé sur les napperons de papier, comportait à une certaine époque deux prix : un prix de base et un prix « avec poutine ». Je ne sais trop si c’est encore le cas, n’ayant pas visité l’endroit depuis quelques années (nous y allions régulièrement petit-déjeuner à une époque où nous habitions le quartier). J’avoue que le culot de proposer indifféremment une poutine en accompagnement d’un hamburger, d’une lasagne ou d’une déjeuner « deux œufs tournés bacon » force le respect. C’est la poutine – et le principe mystérieux de la cuisine canadienne – dans toute sa gloire.

Notes :
  1. Par ailleurs, les Québécois ont découvert avec amusement que Poutine était aussi un patronyme russe lorsque Vladimir Poutine est devenu Président de Russie (et bientôt roi du tsar-système). On notera aussi que la poutine râpée acadienne est un mets bien différent de la poutine québécoise, bien que ces mets homonymes aient en commun l’utilisation de pommes de terre et, disons, un degré de raffinement gastronomique très relatif.
  2. Cet excellent article de Marie-Claude Lortie de La Presse offre un portrait amusant de ce phénomène de mode.
  3. Ces détails sont tirés de l’album « Au pied de cochon ».

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