Ah, la tourtière! Un bon mets d’hiver bien de cheux-nous, réconfortant, bourratif, qui évoque tant et tant de souvenirs de Noël blanc, de party de famille et de maisonnée bruyante. La tourtière! Reine du terroir québécois, qui se décline selon les régions en une multitude de formes portant différentes appellations: tourtière, tourte, cipâte ou cipaille. Il n’est surtout pas question de raviver ici le vieux débat sur la nature authentique de la tourtière québécoise. Pour nous, c’est réglé, le Lac Saint-Jean a gagné et tout ce qui n’est pas une tourtière du Lac ne mérite au mieux que la vulgaire appellation de
pâté à la viande. Peut-être dans deux cents ans, débattra-t-on encore de l’origine de la poutine, mais pour la tourtière, nous sommes d’accord avec les Tremblay et les Bouchard : ne mérite le nom de tourtière que celle portant le label « Lac Saint-Jean ».
Mais qu’est-ce qui fait une tourtière du Lac? D’abord, j’ai envie de dire : son gigantisme. Une tourtière qui se respecte devrait pouvoir nourrir un camp de bûcherons affamés par une longue journée de travail. Ensuite, c’est le mariage des viandes, de la pomme de terre et du lard. Car la tourtière, ça n’a rien de léger, ça n’a rien de
Kampaï, mais ça vous tapisse le bedon de bonnes protéines, de bons féculents et de bon gras. Que demander de plus, à part peut-être un peu de ketchup maison et un verre de Côte du Rhône? Oubliez les machins ayant l’apparence d’une tarte, la tourtière assume pleinement sa troisième dimension; oubliez les préparations à la viande hachée, la tourtière se doit d’être aux cubes, des cubes de viandes et de pommes de terre, s’entend.
À chaque année, c’est la même chose : on n’a pas vraiment noté la recette de l’année précédente et on se retrouve à fouiller dans nos fichiers, à faire des recherches, à comparer plusieurs recettes, à ressortir cette recette ancestrale originaire du Lac (dénichée dans le grenier d’une maison du village fantôme de Val-Jalbert) et à faire un peu la moyenne de tout ça. Encore cette année, le résultat s’est avéré tout à fait satisfaisant. Et lorsque nous sortîmes le monstre du four, nous eûmes beau tendre l’oreille, nous fûmes rassurés de ne pas entendre les ancêtres Jeannois de Madame Becs fins se retourner dans leurs tombes. C’était mission accomplie.
Bref, cette année, c’est notre cadeau de Noël à vous cher lecteur gourmand : voici « notre » recette de tourtière du Lac Saint-Jean.
[Ajout 2011-12-11] La recette traditionnelle requiert l’utilisation de viandes de gibier. C’est qu’à une certaine époque, au Lac Saint-Jean (et un peu encore dans ses coins les plus reculés), on n’avait qu’à poser quelques collets dans son jardin ou son champ pour attraper des lièvres; on n’avait qu’à aller faire un tour dans le bois pas trop loin pour chasser. Encore aujourd’hui, dans le temps des Fêtes, bien des Jeannois ont de la viande de bois dans leur congélateur, fruit de la chasse de l’automne précédent. Si c’est votre cas, vous pourrez adapter la recette plus bas et y substituer, disons, la viande rouge par du chevreuil ou de l’orignal, et la volaille par de la perdrix. Dans le même esprit, vous pourrez mettre des viandes de gibier d’élevage (pardonnez l’oxymore!). Ainsi, une lectrice nous indique en commentaire que son mari remplace le poulet par de la pintade. Excellente idée, qui nous rapproche davantage de la tradition. Notez cependant que les viandes d’élevage ont un goût beaucoup moins prononcé que les viandes sauvages et le fait de remplacer le bœuf par du cerf d’élevage, par exemple, ne changera pas de façon très marquée le résultat, pour un prix au kilo nettement plus élevé.
Ingrédients (pour une bonne quinzaine de bûcherons affamés)
- 600 g de bœuf à ragoût
- 600 g de veau à ragoût
- 600 g de porc à ragoût
- 1 poitrine de poulet
- 200 g de lard salé
- 4 oignons grossièrement hachés
- 2 kg de pomme de terre
- Environ 1,5 kg de pâte brisée
- 3 feuilles de laurier
- Environ 1,5 l de bouillon de poulet
- 1 cuillère à soupe de sarriette séchée
- Sel et poivre
Préparation
La veille : Couper toutes les viandes en petits cubes. Les mettre dans un grand bol. Ajouter l’oignon grossièrement haché, la sarriette et les feuilles de laurier. Saler et poivrer. Bien mélanger la préparation. Couvrir d’une pellicule plastique et laisser reposer au frigo pendant 24 heures.
Le jour du crime :
Chauffer le four à 400oF (200oC).
Couper les pommes de terre en dés.
Rouler la pâte. En tapisser le fond et les côtés d’une cocotte de fonte émaillée géante de 9 litres.
Disposer dans la cocotte une couche de la préparation à la viande, puis de pommes de terre et répéter ainsi jusqu’à épuisement des ingrédients.
Couvrir d’une abaisse. Sceller les abaisses inférieures et supérieures en roulant la pâte du pourtour pour former des boudins.
Percer une cheminée de la circonférence d’un deux dollars (2 à 3 cm de diamètre).
À l’aide d’un entonnoir, verser le bouillon de poulet par la cheminée, jusqu’à ce que le niveau soit visible. Badigeonner la pâte de lait (pour faire une croûte dorée).
Enfourner la cocotte et laisser cuire à découvert pendant 15 minutes.
Baisser le feu à 225oF (105oC), couvrir la cocotte et laisser cuire doucement pendant 6 heures.
L’odeur de tourtière emplira bientôt la maison. N’ayez pas peur de servir à vos convives de généreuses portions, vous serez certain qu’il n’en manquera pas! La viande et les pommes de terre seront gorgées de saveur et le gras du lard aura rendu le bouillon bien onctueux. Servez avec du ketchup maison, des marinades et une salade. Pour notre part, nous aimons bien accompagner la tourtière d’une salade de carotte et d’une rémoulade bien fraîches. Arrosez d’un rouge ayant du corps et du fruit, un vin de grenache ou de syrah, par exemple un Côte du Rhône ou un vin espagnol.
La tourtière est excellente (certains disent meilleure) réchauffée : bonne nouvelle, parce qu’à la grosseur du monstre, vous aurez vraisemblablement quelques restes!
Sur ce, bon appétit et Joyeuses Fêtes!